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Les enjeux de la relation d’aide

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La thérapie est un lieu d’écoute et de rencontre qui permet d’accueillir et de prendre soin de ce qui était caché, inconscient. Le thérapeute a une compétence de processus : c’est-à-dire qu’il ne sait pas pour l’autre et n’a pas de projet pour lui. Il a la compétence de l’accompagner à rencontrer ses espaces insoupçonnés qui posent problèmes s’ils sont agissants en secret.

Comme nous le rappelle le succès de la série ‘En Thérapie’, ce métier d’accompagnement est au carrefour d’enjeux sociaux et sociétaux, et contribue à la capacité de nos sociétés à évoluer sainement et à guérir. Il doit se montrer à la hauteur en garantissant le sérieux des professionnels qui y travaillent : une formation solide, des professionnels supervisés, des personnes ayant fait une thérapie approfondie, et n’agissant pas seuls dans leur coin.

Cependant, la situation française, qui n’est pas seule, a du mal à intégrer cette profession, qui pourtant est reconnue de fait par le public. C’est un paradoxe qui fait le lit de certains professionnels mal formés et mal informés, et sème le flou dans l’esprit du grand public sur la profession ‘psy’.

La thérapie, lieu d’écoute

Qu’est-ce qu’une thérapie ? Le mot vient du grec ancien θεραπεία, therapeía (« cure ») dérivé de θεραπεύω, therapéuô (« servir, prendre soin de, soigner, traiter »). Je retiens surtout que la thérapie est un espace (temporel et physique) mis au service d’un processus d’évolution et de transformation d’une personne. Il existe autant de thérapies que de personnes, et les besoins qui amènent les personnes à consulter sont très variés. C’est pourquoi les durées, les méthodes et les résultats sont aussi différents que complexes à analyser. Il est impossible de faire rentrer ce processus dans un quelconque format ou norme. C’est sans doute cette dimension de la thérapie qui dérange le plus nos sociétés actuelles.

Faire une thérapie n’est pas une obligation ni une panacée, il n’y a pas de chemin idéal pour avancer dans la vie : les évènements de la vie SONT notre thérapie, si nous prenons le temps d’observer et sentir leurs impacts sur nous, et nous les laissons nous transformer, comme la mort d’un proche, ou une naissance. Cependant, ce processus à tendance introspective n’est pas toujours naturel, ni évident. Il nous demande d’aller explorer des zones peu confortables, cachées à nos yeux par nos mécanismes de défenses et de survie. Selon ces mécanismes, il est préférable de se sentir bien et de penser au bonheur, plutôt que de ressentir du mal être. La thérapie est un lieu pour aider la personne à modifier ou décaler son regard sur ces endroits bien ‘cachés’.

La thérapie est une rencontre entre deux individus. Bien que le thérapeute ne soit pas amené à se dévoiler comme le fait le patient, il se livre cependant tel qu’il est dans cet espace d’intimité qu’est le cabinet de thérapie, et ne peut se masquer ou se cacher derrière une posture : c’est sa présence dans la relation qui est requise et guérissante, et non les outils qu’il va utiliser. Nous retrouvons dans ce principe l’essentiel de la Communication Non Violente de Marshall Rosenberg, pour qui le besoin premier de l’homme est d’être écouté, d’être écouté vraiment avec le cœur. Une fois que l’écoute empathique existe, les conflits trouvent facilement des solutions « A partir du moment où j’ai été écouté et entendu, je parviens à percevoir mon univers sous un jour nouveau et à aller de l’avant » [réf. [1] p.145]. Que l’on soit issu de telle ou telle pratique thérapeutique, certes les outils changent mais ils ne font qu’accompagner l’essentiel de la thérapie : la posture du thérapeute, en miroir des besoins du patient et de son processus.

La relation d’aide, compétence de processus

Comme le coach professionnel, qui est soumis aux mêmes enjeux, le thérapeute est un professionnel de la relation d’aide. Qu’est-ce qu’un métier de la relation d’aide ? C’est un métier d’accompagnement, où une (ou plusieurs) personne(s) choisit de se faire aider, en se mettant dans une situation de REMISE EN QUESTION DE SES COMPORTEMENTS, REPRESENTATIONS ou RELATIONS à une personne, un groupe ou une situation. Le professionnel l’accompagne alors dans un PROCESSUS, qui bien souvent est TRANSFORMATEUR. La démarche peut être liée à du mal-être, ou/et à des crises que la personne traverse. C’est un choix de cheminement qu’elle fait. Ce qui la distingue de la médecine est que le thérapeute n’apporte pas une solution ou un remède, il ne prescrit ni ne conseille, mais accompagne sur un chemin d’évolution.

Car le métier de l’accompagnement est principalement basé sur une compétence de processus. L’accompagnant n’est pas une personne qui sait quoi faire en toute circonstance. Non seulement il a une vision partielle et partiale de ce que vit son patient, mais il ne sait pas forcément a priori ce qui va lui permettre d’avancer. Il n’a pas à systématiquement apporter ou proposer une solution aux problèmes que rencontre le patient, mais il sait comment avancer avec lui pour l’aider à découvrir cela. Son rôle est d’accompagner une personne ou un groupe lors d’un processus d’apprentissage ou de découverte et de croissance. C’est en grande partie un apprentissage sur soi, mais également sur la vie, les relations…

Le thérapeute possède bien entendu également une compétence de contenu, et notamment sur les domaines suivants : 1) le fonctionnement de la psyché (psychologie) et du corps (soma), et l’intégration des deux ; 2) les différentes pathologies rencontrées chez les personnes (psychopathologie), et notamment lesquelles il est en mesure ou pas d’accompagner ; 3) des outils spécifiques permettant de travailler tel ou tel sujet. Si elle est fondamentale, cette compétence n’est pas première, car le thérapeute ne sait pas pour l’autre. Beaucoup des peurs liées aux thérapies sont liées à des confusions sur les représentations de ce métier. Certains pensent que le thérapeute voit tout, analyse tout chez l’autre, et que c’est lui qui sait. Ces peurs, remarquons-le, sont un héritage d’une éducation du parent tout puissant et envahissant qui pense pour l’enfant au lieu de le laisser apprendre et faire son chemin (voir à ce sujet les ouvrages d’Alice Miller sur la pédagogie noire et ses conséquences : [2] [3]).

Dans nos sociétés modernes où de plus en plus de personnes perdent contact avec leur vérité profonde, le métier de la relation d’aide est devenu incontournable, que ce soit dans l’entreprise (on l’appelle alors coaching professionnel), ou dans des sphères plus personnelles (thérapie). L’espace de la relation d’aide rend possible de (re)construire la relation à son corps, son identité, ses besoins, sa place dans le monde, et (ré)apprendre à vivre selon sa pulsation propre. Une majorité de la population active a d’ailleurs déjà consulté un thérapeute ou un coach professionnel. L’efficacité des thérapies n’est plus à démontrer, et joue un rôle prépondérant face à la nécessité dans nos sociétés de nous adapter à des situations de plus en plus complexes, ou tout simplement de guérir nos blessures d’enfance qui nous empêchent de grandir et de prendre notre place dans le monde.

On peut pourtant se questionner face aux fortes résistances de notre société à laisser une place aux thérapies, exclues de bien des cercles où les besoins sont pourtant énormes. Je pense notamment à l’hôpital, ou à l’entreprise, et ce ne sont pas des exemples isolés. A mon sens, ces résistances expriment une peur réelle face à un enjeu de la relation d’aide : l’enjeu de pouvoir. Dans sa posture d’accompagnant, le thérapeute joue un rôle repère (parental d’un point de vue symbolique) et a une place de pouvoir. Il lui serait facile d’influencer ou d’abuser d’une personne en difficulté.

C’est pourquoi un enjeu majeur de la relation d’aide, et de la thérapie en particulier, est de clarifier ce point-là : quelle est la place du thérapeute, quel est son rôle et ses prérogatives ? Comment préserver cet espace de tout jeu de pouvoir ?

Les 4 piliers de la relation d’aide

Pour répondre à cet enjeu, et en référence à un de mes enseignants Serge Eskenazi, je crois que le professionnel de la relation d’aide est contraint à un cadre extrêmement rigoureux et exigeant, basé sur 4 piliers indispensables à la pratique de la relation d’aide :

  • Thérapie : de même que le meilleur moyen pour apprendre à faire du vélo, c’est de faire du vélo, le meilleur apprentissage pour accompagner, c’est d’avoir été soi-même accompagné dans un processus long. Cela est tout d’abord indispensable pour bien nettoyer ses lunettes : comment par exemple accueillir avec bienveillance un patient en grande tristesse si ne suis pas conscient de ma propre tristesse ? Vais-je l’inciter à se ressaisir ? Le rassurer ? Au lieu de l’accompagner à cet endroit précis avec lequel il a rendez-vous ? Par ailleurs, se rappeler toutes les étapes franchies soi-même (ainsi que celles qui restent aussi à franchir) aide à rester modeste devant celui qui chemine, et évite d’entrer dans la toute-puissance. Le thérapeute n’est pas un sachant ‘au-dessus’, ni supérieur ni mieux loti, mais un être capable d’empathie et de se mettre en retrait. La connaissance de son processus personnel lui donne des repères, et vient en complément de la supervision lorsque les processus des patients font résonner son propre processus ;
  • Formation: une formation sérieuse, avec un cadre d’apprentissage suffisamment structuré et élaboré, et une durée d’apprentissage suffisamment longue. Il n’est pas sérieux de prétendre former un thérapeute à une approche d’accompagnement en moins de 4 ans. Il faut en effet du temps pour apprendre et pratiquer cette posture tout à fait particulière du thérapeute. La formation permet d’acquérir les bases d’une pratique, ainsi que les repères essentiels pour ne pas faire trop de bêtises en début de carrière : 1) qu’est-ce qu’un processus thérapeutique ? 2) comment accueillir un patient ? 3) les différentes pathologies 4) les différentes postures 5) des méthodes et pratiques 6) des référents compétents (personnes, livres) qui vont accompagner le jeune thérapeute ;
  • Supervision : la supervision, c’est l’accompagnement d’un thérapeute par un thérapeute plus expérimenté, pour que ce dernier l’aide à regarder certains processus et interventions ; l’apprentissage réel du thérapeute s’effectue par la pratique, dans le cabinet, face aux personnes qui viennent le consulter ; il va faire des erreurs, et l’existence de la supervision est un garant indispensable pour qu’il apprenne de ses erreurs, comme tout processus normal d’apprentissage. Une supervision sérieuse, mensuelle par exemple, ouvre un espace de questionnement suffisamment régulier pour suivre l’évolution du thérapeute dans sa posture ;
  • Fédération: le métier de thérapeute est une profession assez solitaire ; mais il ne travaille pas seul dans son coin. C’est un métier en perpétuelle évolution, où il est bon d’être rattaché à une fédération ou une association professionnelle qui garantit la déontologie et la bonne application de cette dernière. En cas de problème, le patient peut se saisir de la commission de déontologie de la fédération / association professionnelle.

Une situation française clivante

Ces 4 piliers vous paraissent-ils évidents ? Pourtant, aujourd’hui en France, j’estime que de nombreuses personnes se définissant comme thérapeutes ne rentrent pas dans ce cadre. Je propose ici de regarder brièvement pourquoi.

Le gouvernement français, et il n’est pas le seul en Europe, a choisi depuis 2010 de reconnaître les seuls professionnels de la psychologie, de la médecine et de la psychanalyse comme ayant droit à pratiquer la ‘psychothérapie’ (voir à ce sujet les articles de loi [4] et [5]). Si la loi a raison de reconnaître des diplômes professionnels d’état, elle exclue les professionnels qui avaient créé cette profession de la psychothérapie, et passe à côté de l’enjeu principal des thérapies : l’accompagnement, en tant que compétence de processus. Et passe complètement à côté de la question centrale du métier de l’accompagnement.

Ce choix a eu des impacts catastrophiques dans le domaine de la santé et du soin, et est aujourd’hui un grave danger pour la santé publique :

  • Les médecins, psychologues et psychanalystes non formés au métier de l’accompagnement, accompagnent des milliers de personnes dans des soi-disant thérapies. Il n’existe pas d’exigence de compétence de processus, ni d’exigence de thérapie dans leurs formations, et ils continuent à accompagner sans être formés pour cela ;
  • Des centaines de ‘psychothérapeutes’, aujourd’hui appelés ‘psychopraticiens’, formés, compétents, ayant contribué à la mise en place et à la structuration d’une profession, se sont vus ostracisés du jour au lendemain, et contraints à exercer dans des conditions marginales ; l’ironie est que ces professionnels continuent pourtant à exercer et à recevoir beaucoup de patients ;
  • Là où le besoin le plus important aurait été de créer une intégration entre les médecins, psychologues et psychothérapeutes, on a au contraire créé une rupture, en mettant de côté les psychopraticiens, créant de la confusion pour le grand public, qui n’arrive pas à faire la distinction entre toutes ces professions ‘psy’ ;
  • Une brèche, voire un boulevard, a été créée pour que les vendeurs de rêve fassent école sans un cadre sérieux, et puissent apparaître au même niveau que les écoles ‘sérieuses’, mais bien entendu à moindre prix ;
  • Les patients sont contraints de consulter des thérapeutes non reconnus, sans avoir de garantie sur leur sérieux ; beaucoup trop de thérapeutes mal formés, non supervisés, et ne respectant pas de cadre (formation, thérapie, supervision, fédération), sont dans le même panier que les thérapeutes sérieux. Et cela crée non seulement de la confusion, mais cela entraîne de nombreux passages à l’acte dans les pratiques (sexualité en séance, non-respect de la confidentialité, jeux de pouvoir, etc.).

Cette profession de psychothérapeute (ou maintenant psychopraticien) est nouvelle et a essentiellement émergé dans les années 1960 suite aux mouvements sociaux d’émancipation des carcans éducatifs issus des 18ème et 19ème siècles, elle en est encore à chercher sa place dans le tissu professionnel et social. Il semble tellement incroyable que de nombreux thérapeutes (une majorité) soient aujourd’hui des professionnels non reconnus, travaillant sous l’étiquette ‘psychothérapie (hors du cadre réglementé)’. A long terme, cette situation n’est pas tenable.

Travaux cités

[1] M. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs, La Découverte, 1999.
[2] A. Miller, C’est Pour Ton Bien, Aubier, 1984.
[3] A. Miller, Notre corps ne ment jamais, Flammarion, 2004.
[4] JORF, «Article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004,» n° %1Article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 modifié par l’article 91 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, 2009.
[5] JORF-0117, «Décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute,» 2010.